En 1890, dans les hautes plaines de l'Ouest, l'armée était présente partout : deux mille cavaliers, et beaucoup d'infanterie "pour parer à toute chose" car les journalistes, notamment ceux présents à l'agence de Pine Ridge, méconnaissant autant la psychologie indienne que la réalité des faits, ne cessaient de présenter la Danse des Fantômes, dans des articles destinés à leurs lecteurs de l'Est, comme une cérémonie guerrière. Après tout, il n'y avait que quatorze ans que l'armée avait subi la cuisante défaite de Little Big Horn, et une "bonne revanche" n'aurait pas été pour déplaire.Cependant, quelques voix clairvoyantes essayèrent de se faire entendre. Le colonel Mc Gillicudy fit remarquer au général Brooke : "Si les achentistes du septième jour montent sur le toit de leurs maisons, revètus de leur 'robe d'ascension', pour rencontrer le Sauveur lors de sa seconde apparition sur terre, l'armée américaine ne sera pas mise sur pied de guerre pour les en empècher ! |
Red Tomahawk, sergent de la police Indienne |
Pourquoi
les Indiens ne bénéficieraient-ils pas du même privilège
?" Le chef Oglala Little Wound répondit au général
Brooke lui demandant s'il était un Ghost dancer : "Mon ami,
je suis trop vieux pour danser. Je ne sais si l'histoire de Wowoka
est vraie, mais c'est la même histoire que les missionnaires blancs
nous ont racontée : que le Messie va revenir... Si cela arrive,
il est bon que nous en profitions. Sinon, l'affaire tombera d'elle-même
!..." Cependant, le vendredi 12 décembre 1890, Mclaughlin,
l'agent de la réserve de Standing Rock, que les Indiens appelaient
White Hair, était informé par le colonel Drum, commandant
de Fort Yates, qu'un télégramme donnant ordre d'arrêter
Sitting Bull était arrivé au QG de Saint Paul. Il
réussit à persuader le colonel de laisser la police indienne
effectuer l'arrestation, pour éviter que l'armée ne se mêlat
trop de ce qu'il considérait comme son domaine réservé,
ont dit certains, ou pour éviter un conflit plus général
selon d'autres spécialistes. |
Le capitaine de la police indienne Bull Head reçut l'ordre
d'arrêter Sitting Bull dans la nuit du 14 décembre 1890.
Par sécurité, son adjoint, le sergent-chef Shave Head
avait reçu une copie de cet ordre. De son côté, le
colonel Drum ordonna aux "Troops F and G". du 8' régiment
de cavalerie de se mettre en marche vers le Sud, sous le commandement
du capitaine E.G. Fechet, afin d'empêcher toute interférence
des Indiens amis de Sitting Bull. Par précaution, McLaughlin
éloigna le neveu du vieux chef, le célèbre et Brave
One Bull, car il savait que celui-ci se battrait jusqu'à la
mort pour défendre son oncle et par ailleurs, pour donner du "tonus"
à sa police, il approvisionna avec quelques cruchons de mauvais
Whisky... Pendant ce temps, les Hunkpapa dansaient leur dernière
Danse des Fantômes, dans leur camp de Grand River,
non loin du village de Bull Head. Quoique la "médecine"
ne fût pas très bonne, la cérémonie se poursuivit
assez tard dans la nuit. Et, l'un des visiteurs était le sergent-chef
Shave Head... Sitting Bull lui offrit l'hospitalitépour la nuit
dans sa cabane en rondins où logeaient aussi, en plus de lui-même
et de sa femme Four Times, son fils Crow Foot et son jeune
fils adoptif John, sourd-muet de naissance. Tout près, l'épouse
de One Bull dormait seule dans un tipi. Les quarante-trois membres du
"commando" policier arrivés à la cabane de Bull
Head, passèrent la nuit à se "donner du courage"
à l'aide du whisky. A la fin de la nuit, le capitaine murmura une
prière en lakota, tout le monde se signa, puis la troupe s'ébranla
vers l'Est pour encercler le camp endormi du vieux chef. Little Soldier
frappa doucement à la porte, avec la crosse de son fusil, et Shave
Head accomplit son travail en ouvrant la porte. Bull Head et une demi-douzaine
d'hommes s'engouffrèrent et se dirigèrent vers la couche,
y farfouillèrent pour en extirper rapidement la carabine, le revolver
et même le vieux couteau du chef. |
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Une lampe à pétrole fut allumée Weasel Bear se saisit du bras droit de Sitting Bull, Eagle Nian du gauche, ils le firent lever. Bull Head, posant une main sur son épaule, lui dit "Je te fais prisonnier." "Nous sommes venus pour toi, frère", ajouta Shave Head et le sergent Red Tomahawk l'avertit : "Tu seras tué sur place si tu déclenches le combat" tout en le maintenant par-derrière."Très bien", répondit calmement Sitting Bull, sans apparemment vouloir résister. On l'aida à s'habiller, non sans mal ni bruit si bien que des gens, tirés de leur sommeil par ce remue-ménage, commencèrent à se rassembler devant la cabane. "Circulez, n'approchez pas", leur enjoignit le policier Eagle Man. "Entourez-le", ordonna Shave Head. Mais la foule était maintenant de plus en plus menaçante. Des cris hostiles aux "Poitrines de métal" (surnom des policiers indiens, à cause de l'insigne en cuivre qui ornait leur veste) s'élevaient de tous côtés. |
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Et brusquement Sitting Bull se rebiffa : "Je n'irai pas, ne me touchez pas." Les policiers tentèrent alors de ramener le calme "Personne ne sera maltraité, nous sommes venus pour escorter Sitting Bull jusque chez White Hair qui veut lui parler", cria Bull Head, sans résultat. Catch The Bear apparut au coin de la cabane, Winchester en main, et s'adressa aux policiers Cet homme était en "délicatesse" avec le policier Bull Head, qui l'avait offensé trois ans plus tôt. Sitting Bull, encouragé, reprit : "Je n'irai pas, faites de moi ce que vous voulez. En avant... Allez-y !" Ce fut le signal. Catch the Bear tira sur Bull Head qui, blessé à la jambe, fit feu sur le chef. La balle, qui pénétra entre la dixième et la onzième côte, fut mortelle ; Red Tomahawk en tira une autre dans le dos de son prisonnier, mortelle également. |
Pendant quelques minutes, une bataille générale et féroce s'engagea : quatre policiers et six Indiens morts, dont le fils de Sitting Bull, Crow Foot, âgé de dix-sept ans, entourèrent rapidement le cadavre de Sitting Bull ; Bull Head et Shave Head furent mortellement blessés. Au lever du soleil, les soldats bleus arrivèrent, mais ne purent rattraper les trois cent trente-six partisans du vieux chef, qui s'échappèrent vers le Sud. Lorsque One Bull, le neveu de Sitting Bull, revint à sa cabane, il constata que toutes les habitations du campement avaient été vandalisées : fenêtres cassées, lits et couvertures déchiquetées, bétail massacré, chevaux disparus, trois cents poules abattues sans raison... Les "Poitrines de métal", dans leur ivresse, s'étaient acharnées, détruisant et pillant tous les biens familiaux de Sitting Bull et de ses proches. (Quelques objets furent cependant remis à McLaughlin, qui les exposa, trois ans plus tard, à l'exposition mondiale de Chicago.) D'épouvantables profanations furent commises, jusqu'à ce que l'armée s'interpose pour y mettre fin. On raconte que pendant le combat le cheval du vieux sage, un cheval de cirque offert par Buffalo Bill, commença à danser croyant sans doute qu'on rejouait le Wild West Show. Il s'assit au milieu des balles qui ne le touchèrent pas, à tel point que les policiers indiens furent effrayés à l'idée que l'esprit de Sitting Bull ait pu entrer dans l'animal. McLaughlin ayant donné l'ordre de ramener le chef mort ou vif, son corps et ceux des policiers furent empilés dans le chariot, maintenant vide de son chargement de Whisky. On sait que la plupart des policiers brûlèrent par la suite leur uniforme et prirent de nombreux bains de vapeur (Inipi, le rituel de purification) pour essayer de se laver de cette abomination. Les restes du chef furent très discrètement inhumés dans la chaux vive, le 17 décembre 1890, dans un coin isolé du cimetière de Fort Yates. Le charpentier de Fort Yates, qui fabriqua le cercueil, témoignera plus tard qu'en plus de sept blessures par balles, le corps avait été mutilé. Le révérend T.L. Riggs fit enterrer, tout aussi discrètement, les dépouilles des amis et parents du chef, dans une fosse commune, sur les lieux mêmes de la bataille, ce qui lui valut la reconnaissance émue des Hunkpapa. Par contre, les funérailles des policiers se déroulèrent solennellement, avec les honneurs militaires, au cimetière catholique de l'agence de Standing Rock. De nos jours, on peut voir deux monuments se disputant l'honneur d'abriter la tombe de Sitting Bull: le premier, au bord du Missouri, en face de la ville de Mobridge (Dakota du Sud) ; le second à Fort Yates même, quelques kilomètres plus au nord. Mais aucun des deux ne recût le moindre reste : seul le souvenir du grand chef demeure vivace dans la mémoire des Sioux des réserves de Standing Rock et de Cheyenne River.
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"Ghost Dance" (la dance des esprits) |
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